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Les 6 Suites pour violoncelle seul de Bach par Elena Andreyev.

par | 11/06/2024 | Classique, Discothèque, Moments musicaux, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Planté sous l’aplat gris du ciel pour tout commentaire, j’avais ce matin-là l’état d’esprit cassant comme de vulgaires brindilles. Seul un accès à une retraite juchée sur un sommet rocheux tel qu’on peut en voir dans la peinture chinoise aurait pu couper court à cela, mais où la peinture ? chinoise de surcroît ? où les rochers, des plus réels ? Voilà pour un début, de silence, plutôt que de bruit pur, qu’il m’eût peut-être aussi fallu. Avec le cœur tout de même battant d’un premier rendez-vous amoureux, j’ai alors positionné le disque sur le tiroir du lecteur, à la manière d’une porte que l’on pousse sans savoir ce qui se trouvera derrière, une porte, un disque donc, sur lequel il aurait pu être gravé absolument n’importe quoi, mais ce fut les Suites fameuses pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach. Charnu comme une lèvre, surgit un sol à la clé de fa, vibrations des cordes, souffle de l’artiste qui jouait – il s’agissait d’Elena Andreyev – qui s’engageait admirablement sous des arches successives et supposées, et m’invitait à la suivre alors que je m’étais vautré dans mon canapé les mains croisées sur la poitrine. J’écoutais la fluidité des préludes qui semblaient se réapproprier l’espace pour trouver de nouveaux repères, pour convoquer la résonance et l’équilibre nécessaire à leur progression. Je me sentais tellement minable devant l’éloquence de ce violoncelle qui parlait si généreusement de la vie, qui attendait de moi que je la vive un minimum, qui chantait si juste, qui voulait même aussi par moment me faire danser. J’ouvrais alors vaguement mes bras aux sarabandes et aux gigues, sans le voir, je suivais dans la stéréo l’archet qui phrasait des altitudes à hauteur d’homme, pour d’autres inatteignables, et qui m’incitait à me délivrer ponctuellement de la pesanteur. Des arches – de racines ? de roches ? de feuillées ? – se succédaient, certainement débouchaient là où l’articulation du jeu du violoncelle projetait plus ou moins de terre dans le ciel, et en retour quelques lés d’azur ou, à tout le moins un peu du murmure atmosphérique, à mes pieds, qu’elles furent de feuillées, de roches ou de racines, ces arches bordaient du remuement fixe, et émettaient chaque fois vers moi une lumière incendiaire ou éclipsée, une lumière née de pressions et de dépressions, absolue et intemporelle, une lumière possible dans l’humain, et dont la musique plaidait vigoureusement la cause en m’irradiant les oreilles. D’arche en arche évoluant en altitude et coudant de droite et de gauche une espèce de chemin idéal, j’avais alors, le temps d’une heure, et sans le moindre effort physique, trouvé mon piton rocheux, le plus haut qui se puisse imaginer et surplombant un panorama des plus enviables, un piton rocheux qui pouvait aussi bien être de Chine ou d’ailleurs.

© Mathieu Nuss

Johann Sebastian Bach

Suites a violoncello solo senza basso

Elena Andreyev

(Label Sonanero – 2CD)

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