On n’en a jamais fini avec la 9° Symphonie d’Anton Bruckner et du reste beaucoup de chefs achèvent leur carrière en sa compagnie (Barenboïm une fois encore, Giulini, Haitink, Abbado), comme si cette œuvre possédait une dimension très singulière (elle répondrait à la 9° Symphonie de Beethoven, le chiffre 9 étant chez les symphonistes devenu en quelque sorte sacré), sinon une borne d’interdit, indépassable donc, au moins fétiche (peut-être même fétichiste) en ce qu’elle incarne jusqu’à l’accomplissement toute l’histoire du genre symphonique. Bien sûr, on écrira d’autres symphonies par après, et de grandes (Chostakovitch, Weinberg, Pettersson …), mais il est certain qu’une une borne majestueuse se trouve là plantée dans l’histoire de la musique.
La musique de Bruckner n’était pas franchement à l’honneur dans les années 80 à 2010 (après la grande période germanique ponctuée par les … Et voici une accumulation d’interprétations depuis quelques années comme si chaque chef voulait imprimer sa marque sur la 9° Symphonie. On note des ratés majeurs (Jansons, qui va incompréhensiblement à contresens en écrasant l’œuvre, en banalisant sa dialectique interne, on veut dire à la fois sa grandeur et sa fragilité, en un mot sa foi et son inquiétude) et il y a, après celle, récente, de Hrusa avec Bamberg, des réussites comme cette version très intéressante de Paavo Järvi, qui n’en est pas à sa première tentative dans cette œuvre (avec Francfort, préalablement et de façon très estimable comme toujours avec ce grand chef) essentiellement parce qu’elle fait entendre des dimensions de la partition qu’on n’avait pas repérées (ainsi dans le 1° mouvement, le magnifique passage de 13’30 à 14’, les bois en 5’20 du 2° mouvement), les cuivres mis en valeur sans excès, avec beaucoup de subtilité dès le début de l’œuvre. Et ce 1° mouvement marchecomme en 15’30 comme la Grande Neuvième de Schubert qui en constitue le paradigme, le tempo est rigoureux, décidé, en effet gloire est rendue au « Bon Dieu » qui est le dédicataire de l’œuvre…
Que dire de cette interprétation et en quoi est-elle importante ? Par sa perfection, c’est le mot qui vient à l’esprit. Une perfection qui est essentiellement d’ordre esthétique, ce qui n’empêche pas l’émotion profonde (l’adagio final est très beau, souvent somptueux, de même que la coda du 1° mouvement, d’une magnifique lenteur qui n’a rien en commun avec celle de Celibidache, et concernant la lenteur on retient ce passage en 3’20 du 3° mouvement qui fait songer, peut-être comme jamais, aux cuivres en honneur de Wagner dans le 2° mouvement de la 7° Symphonie). Majestueuse donc est cette version, entièrement érigée à la gloire du Créateur.
Toutefois, en même temps, il faut se souvenir que l’œuvre est difficile. Car, comment ne pas faire mention de ce que son inachèvement, bien involontaire, symbolise, à savoir une sorte de doute, de frayeur pascalienne dont le 2° mouvement est l’expression ? Une très grande version serait par conséquent celle parviendrait à disposer l’une en face de l’autre, dans une dynamique musicale qui constituerait, en la révélant, la teneur de vérité de l’œuvre, les deux aspects de l’œuvre. Et si cette façon de voir paraît trop ambitieuse ou même exagérée, on fera valoir que dédicace au « Bon Dieu » ne peut qu’échapper à la naïveté dévote, ne serait-ce qu’à l’écoute du terrifiant deuxième mouvement. Le dernier mouvement, quant à lui, surmonte une douleur et dévoile progressivement sa dimension cathartique.
On reviendra souvent auprès de cette très belle interprétation. Répétons-le, ce qui la caractérise est en effet sa beauté plastique, sa perfection (en laissant de côté, un peu au moins, sa dimension tragique, pascalienne), en un mot la richesse musicale qu’elle dévoile à de nombreux moments de son exécution en allant chercher dans la partition, et non dans n’importe quoi d’autre, ou le vide comme il arrive, son inspiration.
© André Hirt
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