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Vivaldi, Le quattro stagioni, Concerti armonici et inventivi, Théotime Langlois de Swarte, Orchestre Le Consort, Harmonia mundi, 2025.

par | 27/01/2025 | Classique, Discothèque, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Il fallait tout de même oser : enregistrer une énième fois lesdites Quatre saisons de Vivaldi, cette suite de plusieurs concertos pour violon, qu’un Prélude accompagne et que d’autres concerti suivent sur deux disques qu’on aura écoutés, à sa propre surprise, en continu et avec une attention croissante. On sort de l’écoute de ces interprétations comme lavé, avec une virginité nouvelle par conséquent, d’une accumulation d’écoutes, devenues avec le temps de plus en plus distraites et irritées par l’usage qui aura été fait dans la publicité, les ascenseurs et les parkings de cette musique, mais aussi lorsqu’elle a servi de faire-valoir aux démonstrations de musiciens en mal de reconnaissance médiatique.

         Ce fut donc un petit événement et on souhaite à chacun de le vivre et de le traverser à sa manière. La leçon qu’on en a personnellement retirée est que toute musique, même usée, disons aliénée, en l’occurrence très profondément (il en existe d’autres exemples malheureux dans l’histoire) aura connu une souffrance que nous avons constamment et peut-être scandaleusement ignorée, et aussi, et même surtout, qu’elle peut connaître une forme de salvation et pourquoi pas de rédemption, autrement dit la possibilité non seulement de renaître comme telle, mais celle d’un véritable et donc nouveau commencement.

On ne regardera donc plus de haut les jeunes gens ou les personnes qui honorent la musique dite classique par l’exclusivité d’une musique comme celle des Quatre saisons au détriment d’œuvres qu’on estime être bien supérieures. Outre qu’il ne peut, suivant cette expérience et cet événement, s’agir de cela, et qu’au fond chaque découverte d’une œuvre dévoile une dimension décisive autant d’elle-même que pour celui qui l’écoute, on conclura tout de même à la profondeur de toute musique, celle qui insiste, et ne cesse de nous revenir comme en effet la souffrance d’Écho.

Si le mot n’était pas lui aussi galvaudé, on découvrira dans cette musique un tracé moderne, si moderne qu’on a l’impression, à écouter le Prélude des Quatre saisons et certaines séquences, qu’elles furent écrites la veille, en tout cas qu’elles annoncent leur propre au-delà, ce qui est le signe de toute grande musique, même la plus nostalgique, celle qui espère encore.

Et pour sortir définitivement du cliché musical, on peut, mais on y croit décidément, entendre dans ces concerti ceci, que les saisons sont en voie de disparition, que le rythme est brisé, que le monde bascule dans la rupture de ce dernier, celui également de la vie, et qu’il sombre progressivement dans l’informe. Les Quatre saisons acquièrent à cet égard un autre visage, moins celui rejeté qui se trouve rejeté dans le mythe, celui d’une nature intacte et éternelle, plutôt cet autre, grimaçant, d’une nature bafouée et le plus souvent abandonnée qui produit de fait notre propre déréliction. La musique atteint ainsi une dimension extrême de beauté qui est celle de son éloignement. Ce mouvement de balancier entre le sujet musical des « quatre saisons » et le monde qui est le nôtre, les interprètes en font la base de leur jeu, à la fois avec beaucoup de tact, parfois de douceur, et aussi de violence métallique et d’énergie de défense.

On aura donc fait l’expérience en tous points étonnante d’écoute d’un événement qui a touché certes la musique, mais aussi nous-mêmes et l’état de notre monde. 

© André Hirt

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