Nouvelles du front : violent souffle de renouveau – la colère monte dans le temps las et parmi les mots usés, le froid glace à plus d’un titre les nerfs d’un peuple à bout, les cœurs sont étreints par l’étau de l’angoisse, les usines dressent dans les nuages des mains impuissantes à refermer les poings*. Où se cacherait l’énergumène bienfaiteur ? disons l’espèce de Chopin-cosaque bien-fauteur de trouble dans la foule artiste ?
« Ma place est toute trouvée ! » auraient pu être les prompts propos d’un jeunot qui n’aimait vraiment pas les parfums d’ambiance debussystes. Volubilité tout en rupture de son 1er concerto pour piano, qui fit sentir les signes avant-coureurs d’une dépravation plus qu’harmonique, une tonitruance tête brûlée, une irrégularité des arpèges, une aspérité, un boitement à fort grossissement : « Prokofiev » – « Pro-ko-fff-iev » – « Pro-ko-fff-iiiieffff » : si prédisposé aux forte et fortissimo, aux crescendos ancrés dans la phase terminale de son nom !
Sa griffe fut ainsi posée, qui livra des dix doigts nerveux bataille au clavier, grattant agaçant les contours des fourmilières, puis rapidement les éparpillant, les explosant même, envoyant valser les valses académiques, tonnant effrontément sous les grondements de l’époque, éprouvant les blanches et les cascades d’octaves, mélodiant (c’est beaucoup dire) sur quatre notes, assaillant les noires de la plus forte pression qui soit pour provoquer en conséquence la mort de la consonance. Conscient des armes peu harmoniques qu’il aura accumulées dans ses doigts depuis l’enfance petite, le jeune Serge prodige, véhément, fut tout désigné. Tête première dans les obstacles, tête bien que gonflée à bloc toujours plus abasourdie par les épreuves affrontées dans un monde qui a perdu le sens des équilibres, seul propos musical qui vaille, qui est à traduire en musique, tantôt attaca au clavier, tantôt precipitato à l’orchestre, et dont l’intensité ne cessera de projeter l’angoisse vécue par tous.
Antécédents ?! Niveau de contagiosité ?! Symptômes ?! Que le diable emporte cette musique futuriste lisait-on sous les plumes de l’époque. Mise à l’isolement, à l’épreuve ? Surveiller l’énergumène sans jamais plus lui lâcher les semelles !
* Poème d’Alexandre Bezymenski utilisé dans la symphonie n°2 de Shostakovich écrite pour le 10è anniversaire de la Révolution d’Octobre 1917, poème que le compositeur en personne trouvait selon ses termes « abominable »
© Mathieu Nuss
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