Mendelssohn, pour l’île déserte assurément, en raison de l’énergie et du recueillement, ensemble liés.
On aura éprouvé a priori beaucoup de curiosité à l’égard de ce disque par Maxim Emelyanychev avec le Scottish Chamber Orchestra. Ensuite, à l’écoute, on aura été intrigué par le son métallique des cordes d’époque essentiellement, sans que l’ensemble tombe dans le contresens de la régression sonore sous couvert de recherche d’authenticité, aussi par la légèreté généreuse des bois rendue à cette musique, romantique, qui n’est pourtant jamais lourde, emphatique ou pâteuse comme il apparaît parfois dans les symphonies de Schumann (mais ce dernier apporte autre chose dans cette pâte, c’est-à-dire une profondeur inouïe, comme engloutie, venue du fond de l’eau ou de la terre, dans la lignée de Weber). Il suffit de s’attarder un instant, pour s’en convaincre, sur le 1° mouvement de la 3° Symphonie, à 9’30 pour entendre ces cordes transies, secouées et hésitantes, magnifiques de musicalité, autrement dit de rendu émotionnel, et en même temps de figuration de cette émotion. De façon semblable, les bois dans le 2° mouvement, déjà à 1’20 exposent tellement de facettes, comme si la musique, si nerveuse, parvenait malgré tout à suivre la vitesse et le rythme qu’impose l’intensité du regard de celui qui aborde les rivages sauvages de l’Écosse.
Ce qui apparaît à l’écoute, et une écoute vaut par ce qu’elle entend dans ce qu’elle n’a jamais perçu auparavant avec autant d’évidence du moins, c’est ce qu’on pourrait appeler un « autre romantisme », plus anguleux, nerveux, aride aussi et donc réfléchi, énergique mais sans folie, sans la moindre longueur, affûté si l’on préfère. On entend analogiquement ce qu’on trouve à la lecture de Novalis, cette descente dans les mines ou le secret des paysages et des terres. Car la 3° Symphonie, dite « L’Écossaise » appartient à cette lignée de compositions dont fait partie, pour le plus connu, l’ouverture Les Hébrides ou les Grottes de Fingal, c’est-à-dire un tout autre paysage que celui des forêts germaniques.
C’est un paysage de surface, dont les plis seuls désignent la profondeur, comme des creusements au fond d’on ne sait quelle brèche ouvrant sur les secrets de la forge créatrice. Et c’est dans l’apparence un paysage de désolation, celui de l’Écosse, et un peu aussi celui des Monts d’Arrée en Bretagne, ceux-là même dont les incendies récents, en le détruisant, ont fait remonter leur nature véritable, sauvage et en effet désolée, balayée par des vents dont on ne sait jamais s’ils sont franchement mauvais ou s’ils appellent à la reconnaissance de la puissance du Créateur.
Et comment un spectateur comme celui de Caspar David Friedrich réagirait-il à cela ? La musique paraît traduire le ressenti d’un organisme avec ses nerfs à l’égard de cette puissance, pour ne pas dire la violence naturelle, indifférente à l’homme, si peu accueillante, on dirait, sans avoir peur des confusions, presque pascalienne si du moins l’on considère ce que serait le début des Pensées, cette monstration des raisons pour un athéisme, un début que le jansénisme prétend dépasser et annuler à même l’absence de toute raison de croire ? Car la musique de Mendelssohn est celle des nerfs, de l’agilité de sa pensée et très loin de la torpeur que l’on reconnaît ou veut voir dans le romantisme. Et lorsque Mendelssohn médite, c’est avec l’intelligence dont le corps n’est pas l’antithèse mais le medium, l’instance qui sent, éprouve et juge. La musique de Mendelssohn s’identifie avec le corps lui-même pelé des paysages et de ses arêtes comme de ses enfoncements si mystérieux dans la terre que l’on devine en bateau, derrière la brume, lorsqu’on aborde l’Écosse.
Et on entend dans la même foulée et au sein de ce couplage étonnant quand on y songe et dont on cherche à rendre compte la symphonie Réformation, la 5°, bien précoce et ne correspondant pas à l’ordre de chiffrage. Autant dire qu’elle est comme principielle, et religieuse de part en part. Il s’agit, pour finir de la Réforme en effet, et de façon décisive, de sa vérité au regard des autres pratiques et religions. Et dans la Réforme, on entend l’invisible, on voit la nudité, on est saisi par le miroir qui est renvoyé au sujet et à sa conscience. C’est la mesure prise de cette surface par un sujet, s’examinant jusqu’aux derniers recoins, qui fait sa profondeur.
Il n’existe aucun laisser-aller dans ce romantisme-là. Mais c’est une liberté absolue, soustraite au dogme, fidèle seulement à l’écoute et à la lecture. La filiation serrée de la Réforme avec le romantisme a été clairement, et avec quelle acuité, en dernier lieu perçue par le Thomas Mann du Docteur Faustus. Lui seul avait vu le lien entre le choral Eine feste Burg de Bach cité dans la 5° Symphonie et le romantisme, jusqu’à son dépérissement, dans Parsifal.
(Un mot concernant les dates et l’époque puisqu’il faut les croiser ici. Nous sommes en 1829. C’est tôt, très tôt pour Felix qui n’a que 20 ans. Et c’est trois ans après la mort de Beethoven, deux après celle de Schubert qui n’avait que trente–deux ans. Felix mourra à 38 ans. Cela fait de très petites vies et, incompréhensiblement pour nous, des existences saturées de puissances créatrices, d’énergies, de nerfs tendus, de temps qui ne fut jamais perdu, d’amour et d’amitiés soucieuses, et fidèles, cette dernière notion, dans ses multiples extensions, étant sans doute la principale victime des temps contemporains.
Ceci expliquant cela, car pour créer et aimer, il faut cette concentration, cette capacité de silence qui ne s’obtient que par l’étude, le travail et non le papillonnement dont le règne publiquement quasi exclusif des folliculaires est présentement l’expression. Le post-moderne étant passé par là, on ne crée plus, on cite, en émules de Bouvard et Pécuchet recopiant, en estimant s’y reconnaître, non sans vergogne mais par pure bêtise, et d’être ainsi hissés au niveau de leurs créateurs, de tout et de n’importe quoi, et aussi des grandes œuvres, ce qui, pour longtemps, rabaisse ces dernières et les nivelle à l’aide des propos les plus convenus.
Cela, pour distinguer Richard Wagner qui cite dans Parsifal le thème ascensionnel de la Réformation, et pour comprendre, Mendelssohn citant Bach, mais tous les deux en en faisant quelque chose ! C’est-à-dire ce qu’il devient possible de citer à son tour. Cet enchaînement est ce qui fait échapper à la bêtise qu’on a dite.)
Plus dignement, dans l’œuvre abondante de Mendelssohn, religieuse pour beaucoup, peut-être pour l’essentiel, celle d’un juif converti à la Réforme, on verra, à travers la résurrection apportée à l’œuvre de Bach, la grandeur propre de la Réforme, déjà au détriment du catholicisme qui, corrompu, était déjà en train de perdre jusqu’à sa liturgie. Et, malgré l’antisémitisme de Luther et sa vulgarité, l’essentiel fut, au sein de la Réforme, l’extraction, le mot n’est pas trop fort, de la vérité, même pour un athée, dont Sigmund Freud, du monothéisme, et par conséquent du judaïsme. C’est-à-dire la voix, le texte, la loi et la musique.
© André Hirt
À l’écoute, la présentation du disque (Youtube) :
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