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Mikhail Rudy, Grieg, Prokofiev n°2, concertos pour piano, Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, Mariss Jansons, Le Palais des Dégustateurs, 2024.

par | 19/07/2024 | Classique, Contemporaine, Discothèque, Disque, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Mikhail Rudy écrit, il en fut question ici même il y a seulement quelques semaines à propos de son roman Le Disciple (https://www.opus132-blog.fr/mikhail-rudy-le-disciple-les-presses-de-la-cite-avec-le-palais-des-degustateurs-2024/), il joue du piano et s’écoute aujourd’hui avec cette publication en jouer dans le passé, très précisément entre 1991 et 2000. On avait découvert il y a bien longtemps ce pianiste avec un disque Brahms à tomber et surtout un autre consacré à Janacek (l’oreille pour ces pièces est restée formée par ce dernier).

Mikhail s’écoute, avec crainte, peur, angoisse tout ensemble dont « l’objet » est inconnu ou indéterminé, mais les nerfs sont à l’évidence saturés par une tension qu’on ne rencontre pas souvent, on dira presque Dieu merci. Sauf qu’elle se conjugue avec un art tout aussi redoutable, à la mesure de ce qu’il interprète.

Qu’on tende seulement une moitié d’oreille au 2° concerto de Prokofiev pour s’en convaincre du fait même qu’on tombe à la renverse (Mikhail Roudy, apprend-on avait décidé de ne plus jamais interpréter ce concerto, comme pour éviter, quoi ? Le pire ? Le silence ? La vanité ? La folie ? Ou bien l’impossible qu’on a conjuré, donc transpercé, une fois ?)

Ici une lutte aura eu lieu. Comme un combat avec l’ange ou le démon, sans doute réunis, ce qui fut d’ailleurs diaboliquement le cas. Toutefois, Mikhail Rudy est musicien avant même d’être pianiste. Il a lu, il a médité, il écrit, c’est évident, palpable. On peut supposer que la musique prendra toujours le pas sur la technique, par ailleurs, on s’en doute irréprochable. En revanche, prend-on le risque d’avancer, quelque chose effraie dans l’exécution de ce concerto de Prokofiev, et c’est la musique dans cette musique-là, là où elle entraîne.

Symétriquement ou en retour, un effroi équivalent se dégage de la personnalité qui la joue. Double effroi donc chez Mikhail Rudy. La preuve en est, formelle au moins, ce demi aveu à Eric Rouyer qui dirige le label Le Palais des Dégustateurs : « Tu n’imagines pas à quel point ce disque est important pour moi, et tout ce qu’il représente ». On ignore de quoi il s’agit au juste, mais on comprend qu’il s’agit d’une limite (écoutez la fin du 1° mouvement, à partir de 8’, ainsi que ce moment terrible à 9’30), du souvenir très présent, comme le sont les vrais souvenirs et les réelles présences. Ce jour-là, quelque chose s’est abattu sur Mikhail Rudy ou s’est ouvert en se fermant tout d’abord, n’y voyons aucun paradoxe, pour se manifester et se révéler, au moins à demi, au musicien comme à l’écrivain.

Une folie est présente ici, du démoniaque se manifeste (le début du 2° mouvement !). On songe au Docteur Faustus de Thomas Mann et au personnage d’Adrian Leverkühn, et un instant, par penchant personnel, on a mêlé les deux dans l’oreille et par conséquent dans la pensée. Mais Mikhail Rudy, en grand artiste, a su combattre ses démons dans le démon (celui-ci est bien là et rit au début du 3° mouvement comme en 6’25 !).

La musique n’a rien de fondamentalement esthétique, elle transforme celui qu’elle traverse, voire comme ici transperce de sa flèche empoisonnée. La musique est dangereuse. Elle est l’expérience fondamentale, on dira au plus profond de l’émotion, des racines mêmes du vivant, du réel. Elle est, elle fut une transformation de l’existence (son seul équivalent, ici toutefois hors de propos, serait la grâce ou la conversion religieuse qui projette à terre).

Et quelle expérience d’écoute, une fois de plus grâce aux disques publiés par Eric Rouyer ! Ainsi, ceux, déjà parus et ceux à venir consacrés à l’immense Carlos Païta, ont bouleversé les derniers mois.

© André Hirt

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