Comment élucider l’état d’apaisement intérieur à l’écoute de la musique baroque ? C’est une sérénité presque irréelle, offerte spontanément dans sa plénitude. La musique baroque est une mise en scène qui se proclame, se mire, comme telle à chaque écoute, paraissant un véritable artefact musical.
C’est une forme de circularité autotélique qui construit ses propres références à partir de la réverbération de son écoute. L’écoute de la musique baroque, mesurant la purge cathartique, l’expérience musicale devient une discipline sonore. L’émotion est dès lors vécue comme une réminiscence aux effets décompensatoires qui apporte la profonde sérénité, non départie d’une sensation de surprise comme une redécouverte soudaine de soi, d’une retrouvaille inespérée.
Les œuvres chorales baroques possèdent une majesté d’exécution qui éveille des ambitions de grandeur en celui qui écoute. Elles font naître la jouissance d’un désir irrépressible de se transformer, du mime gestuel et verbal de personnages extravagants ou au contraire compassés, austères, de croire de nouveau à une féerie entêtante d’enfance ou de suivre un rituel sacré sur lequel repose la survie d’une existence.
Elles possèdent le pouvoir d’un désir si puissant, si nettement défini et plein de l’être qu’il habite, qu’il tient pleinement et entièrement dans ce qu’il est, jusqu’à s’autosuffire, s’arrachant au sentiment d’incomplétude existentielle dans lequel il s’origine. L’on appelle même à devenir fou de cette jouissance de désir incisif, à radicaliser ce sentiment de manque jusqu’à la réalité d’un délire. Et pourtant, tout cela se poursuit, paradoxalement, dans un état d’apaisement incompréhensible.
L’orchestre n’est pas en reste, qui soutient le partage collégial de ce ravissement intense qui émeut chaque vibration sonore émise, il devient l’expression même d’une pensée tremblée, au plus au point fragile, qui ne peut se dire qu’une unique fois, et par conséquent, menaçant à chaque instant de disparaître.
Il ne s’acharne pas à la retenir, cette pensée est simplement accueillie, sa musique est toute humilité frissonnante devant une divinité. Et, cet instant suprême où l’écoute rejoint, devient, la musique jouée, ce ravissement inouï, est la durée indéfinie où il est offert à l’écoute de s’écouter penser dans le silence.
L’être se surprend, dès lors, à comprendre autrement qu’en faisant confiance à une supposée existence de sens, il n’existe plus cette forme d’injonction à produire une pensée, il est la pensée même, et il découvre, de surcroît, que la musique peut ne vivre que d’être cela. Et cela est particulièrement remarquable à travers la voix, le foyer d’incandescence de cet apaisement existentiel.
En effet, dans la musique baroque, la voix se proclame ouvertement comme une mise en scène, elle se cite elle-même créant une entité bicéphale, elle appartient à la narration. Et, cette sensation si organique d’apaisement à l’écoute de la musique baroque naît également de ce lien à l’histoire – derrière laquelle se profile une présence pensante -, de son pouvoir d’enchantement.
La voix est le dépôt dynamique d’un temps, elle est très stylisée, elle module une arabesque complexe vouée entièrement au plaisir du regard contemplatif. Elle dévoile un complet et détaillé décor caractéristique d’intérieur, comme si son grain portait l’usure de somptueuses fresques murales dont certaines parties ne sont plus présentes, dévoilant des pans de murs creusés et poreux, et présentant une surface ternie par une fine et lisse pellicule de poussière blanche qui rend vague une partie des formes et des couleurs chaudes de la fresque, en suggérant d’autres, comme si étaient conservés sous un délicat drap blanc les différents regards portés sur elle à travers une entrouverture temporelle.
© Sara Intili.
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