Opus 132 | Blog

Musique, Littérature, Arts et Philosophie

La musique de Pawel Lukaszewski, sa beauté.

par | 11/02/2025 | Contemporaine, Discothèque, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Pawel Lukaszewski, Requiem (Roberta Mameli, soprano, Adam Kruzel, Baritone, Polski Chor Kameralny, Sinfonia Varsovia, Jan Lukaszewski, conductor), DUX, Chopin University Press, 2024.

Pawel Lukaszewski, Nocturne, Wings Concertino, Norwids’s Songs, Lukasonata, Concertino Doppio, IconII (Lukasz Dlugosz, Agata Kielar-Dlugosz, Anna Mikolajczyk-Niewiedzial, Kamila Wasik-Janiak, Aleksandra Demowska-Madejska, Ewa Guz-Seroka, DUX, Chopin University Press, 2024.

La honte possède une vertu, celle de nous faire découvrir une vérité ou plus simplement de nous mettre en présence d’elle. La honte concerne l’ignorance jusqu’à aujourd’hui, il ne s’agit donc pas d’une méconnaissance (« Que de royaumes nous ignorent ! »), de l’œuvre de Pawel Lukaszewski. Les œuvres citées en objet et que le label DUX nous offre à découvir, donnent une idée de son contenu. Pawel Lukaszewski est un passionné de chant choral et, renseignements pris, ses nombreuses compositions dans ce genre, au service de la ferveur religieuse, en témoignent.

Avant d’y revenir, les œuvres non chorales enregistrées ici y introduisent déjà. Pawel Lukaszewski appartient à une famille de musiciens, le père Wojciech (1936-1978), le frère Marcin (1972-) et puis Jan (à ne pas confondre avec le philosophe logicien). On remarque d’emblée une très grande inventivité, même lorsque, comme c’est le cas, la composition est tonale, ce qui fera hausser les épaules desdites avant-gardes. Car ce que l’on apprend une fois de plus tient à ce que la composition tonale contient des ressources, de même que la philosophie, malgré la « sortie » ou le « dépassement de la métaphysique », tout cela est très vite dit, n’est-ce pas ?, en possèdent d’insoupçonnées, comme l’épuisé en trouve alors qu’il n’en voit plus à disposition et qu’elles se manifestent encore par un biais imprévisible. Jamais la musique proposée ici ne laisse une impression de forçage (c’est un excellent critère du jugement artistique, une matière à théorisation à part entière). Au contraire, elle est d’apaisement, non par quelque faiblesse ou intention de résilience (peut-être, mais elle se laisse entendre par ailleurs, c’est là une des clefs de sa qualité), mais par la grâce d’une élaboration formelle, qu’on imagine à la manière d’un appel, d’une voix qu’on est invité à suivre, certainement pas par l’effet d’une injonction doctrinale, mais d’accueil, de compassion et d’amour. Cette musique transpire l’amour. On y entend l’amour, ce qui n’est pas rien et qui, on en conviendra, s’avère être très rare.

Ce qui nous amène non à la piété, mais à la beauté. Celle-ci, lorsqu’on est athée, qu’on croit l’être tout comme certains croient seulement, en vérité, être croyant, n’a pas de contenu de prédilection. C’est pourquoi aussi elle peut se retrouver solitaire dans la finitude. L’époque présente lui a abandonné cette condition. Mourante, ou bien, à l’instant, très fatiguée, exténuée de toutes parts, presqu’elle-même honteuse devant ce qui ne ressent, comme le présent et l’Histoire, pas la moindre honte, elle est devenue très secrète, autrement dit elle se tient à l’écart, sa réalité est elle-même une contradiction et une objection. Parfois elle est réveillée, on la reconnaît alors, mais aucunement comme ce qui marquait dans son apparence « le commencement du terrible » (une formule de poète devenue plus inadmissible qu’incompréhensible, irresponsable surtout). Pawel Lukaszewski nous dit l’exact contraire et en effet nous le fait entendre. Beauté de quoi, alors, au juste ? Ni adhérente, ni libre, entre les deux au mieux, si l’on préfère à la fois reconnaissable et non, elle forme un trait ou une raie de lumière. Par exemple dans le Nokturn nr 14 « Pipirima », ou dans le Concerto pour vents, où passe une impression de « touchant », au sens le plus fort du terme, où l’on est touché comme par une brise qui nous fait nous retourner. C’est un peu cela, la beauté, ce qui suscite cela. Elle ne recouvre rien, mais délivre, objectera-t-on au poète.

La musique de Pawel Lukaszewski, à présent dans ce Requiem (créé en 2014), est comme égarée dans le siècle. Elle est pourtant évidente, c’est-à-dire nécessaire. Aucune objection ne peut être faite à la lumière, pas même l’obscurité qui, elle, est bien « le commencement du terrible ». Celui qui a reconnu la beauté trouve une sérénité qui se répand au-delà de la désolation, mince pellicule sur laquelle germe l’espoir, quel qu’il soit.

Dans le beau texte introductif au Requiem, David Wordworth rapporte le propos de Pawel Lukaszewski quant à l’intention qui a présidé à la composition : « la tentative d’introduire au plus important mystère de notre foi ». Le non-croyant est lui aussi introduit, ajoutera-t-on, la preuve ! ne serait-ce que parce que le croyant comme le non-croyant se retrouvent face à la même absence, à laquelle ils répondent différemment, ou peut-être, sur le fond, semblablement, ce qui ne veut pas dire identiquement.

Il n’en reste pas moins que Pawel Lukaszewski est né à Czestockowa, la ville de la Vierge Noire, et qu’il existe indéniablement un génie des lieux. Ce qui n’empêche pas le compositeur de suivre sa ligne indépendamment des modes. Dans le Requiem, on entend celui de Fauré, celui de Duruflé, on y entend également Poulenc. Le compositeur travaillait dans ce qu’il appelle « une tonalité renouvelée », à la suite de Penderecki et de Gorecki. « Je ne compose pas pour les musicologues ou les spécialistes de la musique, mais pour les gens et naturellement pour Dieu », dit Pawel Lukaszewski. On entend une musique dont on avait perdu l’idée, en même temps que les Temps présents ont égaré la beauté. Ces sensations et ces pensées se rejoignent, dans les tracés des deux solistes Roberta Mameli, soprano, Adam Kruzel, Baritone, et, pour l’exemple, le cône de l’œuvre sans doute, le Lux aeterna, dont la didascalie est « sussurrando » (whispering) qu’on comprend par devers soi à la façon du chas de l’aiguille qui laisse passer la lumière et qui attend sa coagulation, autrement dit l’Image.

© André Hirt

Requiem (Roberta Mameli, soprano, Adam Kruzel, Baritone, Polski Chor Kameralny, Sinfonia Varsovia, Jan Lukaszewski, conductor), DUX, Chopin University Press, 2024.

Pawel Lukaszewski, Nocturne, Wings Concertino, Norwids’s Songs, Lukasonata, Concertino Doppio, IconII (Lukasz Dlugosz, Agata Kielar-Dlugosz, Anna Mikolajczyk-Niewiedzial, Kamila Wasik-Janiak, Aleksandra Demowska-Madejska, Ewa Guz-Seroka, DUX, Chopin University Press, 2024.

La honte possède une vertu, celle de nous faire découvrir une vérité ou plus simplement de nous mettre en présence d’elle. La honte concerne l’ignorance jusqu’à aujourd’hui, il ne s’agit donc pas d’une méconnaissance (« Que de royaumes nous ignorent ! »), de l’œuvre de Pawel Lukaszewski. Les œuvres citées en objet et que le label DUX nous offre à découvir, donnent une idée de son contenu. Pawel Lukaszewski est un passionné de chant choral et, renseignements pris, ses nombreuses compositions dans ce genre, au service de la ferveur religieuse, en témoignent.

Avant d’y revenir, les œuvres non chorales enregistrées ici y introduisent déjà. Pawel Lukaszewski appartient à une famille de musiciens, le père Wojciech (1936-1978), le frère Marcin (1972-) et puis Jan (à ne pas confondre avec le philosophe logicien). On remarque d’emblée une très grande inventivité, même lorsque, comme c’est le cas, la composition est tonale, ce qui fera hausser les épaules desdites avant-gardes. Car ce que l’on apprend une fois de plus tient à ce que la composition tonale contient des ressources, de même que la philosophie, malgré la « sortie » ou le « dépassement de la métaphysique », tout cela est très vite dit, n’est-ce pas ?, en possèdent d’insoupçonnées, comme l’épuisé en trouve alors qu’il n’en voit plus à disposition et qu’elles se manifestent encore par un biais imprévisible. Jamais la musique proposée ici ne laisse une impression de forçage (c’est un excellent critère du jugement artistique, une matière à théorisation à part entière). Au contraire, elle est d’apaisement, non par quelque faiblesse ou intention de résilience (peut-être, mais elle se laisse entendre par ailleurs, c’est là une des clefs de sa qualité), mais par la grâce d’une élaboration formelle, qu’on imagine à la manière d’un appel, d’une voix qu’on est invité à suivre, certainement pas par l’effet d’une injonction doctrinale, mais d’accueil, de compassion et d’amour. Cette musique transpire l’amour. On y entend l’amour, ce qui n’est pas rien et qui, on en conviendra, s’avère être très rare.

Ce qui nous amène non à la piété, mais à la beauté. Celle-ci, lorsqu’on est athée, qu’on croit l’être tout comme certains croient seulement, en vérité, être croyant, n’a pas de contenu de prédilection. C’est pourquoi aussi elle peut se retrouver solitaire dans la finitude. L’époque présente lui a abandonné cette condition. Mourante, ou bien, à l’instant, très fatiguée, exténuée de toutes parts, presqu’elle-même honteuse devant ce qui ne ressent, comme le présent et l’Histoire, pas la moindre honte, elle est devenue très secrète, autrement dit elle se tient à l’écart, sa réalité est elle-même une contradiction et une objection. Parfois elle est réveillée, on la reconnaît alors, mais aucunement comme ce qui marquait dans son apparence « le commencement du terrible » (une formule de poète devenue plus inadmissible qu’incompréhensible, irresponsable surtout). Pawel Lukaszewski nous dit l’exact contraire et en effet nous le fait entendre. Beauté de quoi, alors, au juste ? Ni adhérente, ni libre, entre les deux au mieux, si l’on préfère à la fois reconnaissable et non, elle forme un trait ou une raie de lumière. Par exemple dans le Nokturn nr 14 « Pipirima », ou dans le Concerto pour vents, où passe une impression de « touchant », au sens le plus fort du terme, où l’on est touché comme par une brise qui nous fait nous retourner. C’est un peu cela, la beauté, ce qui suscite cela. Elle ne recouvre rien, mais délivre, objectera-t-on au poète.

La musique de Pawel Lukaszewski, à présent dans ce Requiem (créé en 2014), est comme égarée dans le siècle. Elle est pourtant évidente, c’est-à-dire nécessaire. Aucune objection ne peut être faite à la lumière, pas même l’obscurité qui, elle, est bien « le commencement du terrible ». Celui qui a reconnu la beauté trouve une sérénité qui se répand au-delà de la désolation, mince pellicule sur laquelle germe l’espoir, quel qu’il soit.

Dans le beau texte introductif au Requiem, David Wordworth rapporte le propos de Pawel Lukaszewski quant à l’intention qui a présidé à la composition : « la tentative d’introduire au plus important mystère de notre foi ». Le non-croyant est lui aussi introduit, ajoutera-t-on, la preuve ! ne serait-ce que parce que le croyant comme le non-croyant se retrouvent face à la même absence, à laquelle ils répondent différemment, ou peut-être, sur le fond, semblablement, ce qui ne veut pas dire identiquement.

Il n’en reste pas moins que Pawel Lukaszewski est né à Czestockowa, la ville de la Vierge Noire, et qu’il existe indéniablement un génie des lieux. Ce qui n’empêche pas le compositeur de suivre sa ligne indépendamment des modes. Dans le Requiem, on entend celui de Fauré, celui de Duruflé, on y entend également Poulenc. Le compositeur travaillait dans ce qu’il appelle « une tonalité renouvelée », à la suite de Penderecki et de Gorecki. « Je ne compose pas pour les musicologues ou les spécialistes de la musique, mais pour les gens et naturellement pour Dieu », dit Pawel Lukaszewski. On entend une musique dont on avait perdu l’idée, en même temps que les Temps présents ont égaré la beauté. Ces sensations et ces pensées se rejoignent, dans les tracés des deux solistes Roberta Mameli, soprano, Adam Kruzel, Baritone, et, pour l’exemple, le cône de l’œuvre sans doute, le Lux aeterna, dont la didascalie est « sussurrando » (whispering) qu’on comprend par devers soi à la façon du chas de l’aiguille qui laisse passer la lumière et qui attend sa coagulation, autrement dit l’Image.

© André Hirt

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Opus 132 blog musique classique contemporaine litterature arts philosophie partition

Nos derniers articles

Liste des catégories