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Isabelle Raviolo, Vers l’empreinte incréée, L’Harmattan, 2023.

par | 25/07/2024 | Arts, Bibliothèque, Littérature, Notes de lecture, Peintures, Philosophie

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Sous un titre que n’aurait certainement pas renié Alexandre Scriabin, Isabelle Raviolo publie avec une rigueur et une honnêteté qu’on salue Vers l’empreinte incréée, un véritable ouvrage de philosophie et d’esthétique philosophique, bien loin de ce qui se publie actuellement, à distance surtout de toute polémique concernant ce qui agite, le plus souvent inutilement, l’air du temps. Bien davantage : on est conquis par cette « percée » de la pensée, en vérité une déchirure de la représentation.

Mais pourquoi et comment le désir philosophique ou son élan ont-ils pu se porter dans cette direction ? En raison du statut des images dont l’époque actuelle n’est que l’accomplissement saturé, à savoir le souci marchand du double et par conséquent du faux. Faux par rapport à l’original, certainement, mais en passant, le processus avait dissous ce dernier, si bien qu’il règne désormais sans partage, comme le faux devenu faux par lui-« même » et, également, tout autant et en même temps, en prenant les apparences devenues présentement exclusives du « vrai ».

Le livre d’Isabelle Raviolo ne traite pas de « cela », mais en réalité si, néanmoins sans en dire le moindre mot. Par exigence, tout simplement, à l’égard de la pensée, de ce qu’elle signifie et au premier chef par souci de la tenue.

C’est pourquoi, la philosophe ne s’occupe que de l’essentiel, du cœur de la problématique, celle de l’Image versus les images. Il est vrai que le processus qu’on a dit aura commencé il y a bien longtemps, il fut interrompu, assez régulièrement, depuis l’intervention inaugurale et déjà presque définitive de Platon. Mais c’est Maître Eckhardt qui sert ici de guide spirituel, et c’est Mark Rothko qui attire et enveloppe la pensée d’Isabelle Raviolo, tous deux permettant d’approfondir cette question hyper-métaphysique et pourtant si concrète par ses implications, celles que chaque lecteur tirera de son côté bien qu’elles soient, on n’en peut douter, en réalité les mêmes, plus désastreuses que jamais en notre époque, pour tous.  

L’Image, avec sa majuscule ! Pour dire qu’elle ne ressemble à rien, qu’elle ne doit ressembler à rien pour être une image. Si l’on extrapole, mais on croit seulement prolonger la pensée d’Isabelle Raviolo, on comprendra très vite que la peinture n’a jamais exigé autre chose. La peinture, dont Pascal se moquait, parce qu’il n’avait rien compris à la peinture mais tout de l’Image…

Isabelle Raviolo se saisit du statut de la représentation à partir des thèses mimétiques de la Poétique d’Aristote et de la critique de l’image dans l’œuvre de Platon. On se permettra d’avancer qu’il s’agit en l’occurrence de la seule faiblesse du texte de la philosophe, bien que ce défaut ne touche pas à l’essentiel de la problématique et des conclusions apportées, à savoir que la représentation serait de part en part d’ordre mimétique, au sens donc de la ressemblance. Or quelle œuvre d’art véritable se contenterait de cela ? C’est donc que la représentation n’est pas, comme l’affirme le propos, une re-présentation, une répétition. Il s’agit d’autre chose, que la suite de l’ouvrage, précisément, travaille. (Mais il faudrait revenir, amplement, sur cette question cruciale, qui touche également à celle de la présence, qui n’est pas au présent, puisque, comme son nom l’indique, il se précède lui-même, a lieu dans l’extraction de soi, qui n’est donc pas absolument, de façon figée et sédimentée, « soi ».)

Il s’agirait donc dans la pensée, qui est un « voir », d’opérer la « percée » au-delà du visible, afin de voir « avec l’œil même de Dieu » dans une logique nommément de « dés-adéquation ». On se trouverait alors, en brisant les constructions de la représentation, subjectives, faut-il le préciser, non pas dans la position de l’œil d’un autre, celui que prêterait l’artiste selon Proust avec Elstir, ou Deleuze dans ses commentaires, ni celui que poserait l’œil d’un bœuf selon le désir de peindre de van Gogh, mais dans le sillage d’un autre regard, qui est déjà davantage que cela, une présence, dirons-nous, en même temps déjà son absorption dans un « fond sans fond » selon l’expression de Maître Eckhardt qui fera florès par la suite dans le grand idéalisme allemand, en particulier celui de Schelling, et dont l’œuvre de Mark Rothko sera l’expression la plus extraordinaire, c’est-à-dire en soi impensable, car comment aurait-on pu imaginer, justement, qu’un peintre, soit par excellence celui qui, dans son art, l’art le moins disposé à cette opération théorique et pratique, ait pour intention première et ultime la destruction de la représentation grâce à la percée ou la fente, ou encore la déchirure, en elle, de part en part, jusqu’à la rendre vaine et sous l’angle de la connaissance, de la pensée et de l’existence sans la moindre valeur ?)

Ce regard pictural, « scintilla animae », l’étincelle ou la fine pointe de l’âme ainsi que la nomme Maître Eckhardt, porte ainsi  la peinture à son sommet d’accomplissement, puisque l’Image est rendue, et d’évanouissement de la représentation en ce qu’il la disloque, et par conséquent met en loques les images. Et ne serait-ce que pour cette raison, il existe « quelque chose d’incréé dans l’âme », un deçà des capacités représentatives, un en deçà de ce basculement dans le monde de la représentation que le commun – mais c’est lui qui jusqu’à une date récente, avant l’uniformisation des attitudes, dans les traditions locales, l’aura le moins fait –, les philosophies depuis Descartes, avec Kant surtout jusqu’aux déclinaisons de Michel Foucault dans Les Mots et les choses, les sciences enfin n’auront cessé d’opérer. Cet en deçà est « l’empreinte incréée ».

Pour la caractériser, nulle couleur ne convient, en tant que telle, ce qui ne fera que reconduire la compréhension représentative de l’image. Il faut en revanche recourir à « une conception plus musicale de la couleur ». Et c’est à ce stade qu’on entend la musique de Scriabin dont Isabelle Raviolo ne parle pas, mais dont la figure comme l’œuvre encore bien méconnue s’imposent. Ce tremblement, cette oscillation de l’Image sont, pour la philosophe, « la Vie » même, grâce à « la libération du regard qui ne “prend plus”, mais reçoit la lumière, et se laisse nourrir du silence de l’œuvre ».

L’œuvre : il s’agit exemplairement de celle de Rothko, mais aussi, par conséquent aussi, pour nous de celle de Scriabin (Vers la flamme, Le Poème de l’extase…), et d’abord, métaphysiquement, de ce dont est « fait » le fond, qui n’est pas son fond propre pour cette raison, de la subjectivité, d’où ce caractère « incréé ».

Isabelle Raviolo souligne, après l’avoir dégagée, la « Pâque » du regard qui aurait lieu chez Mark Rothko comme pour ceux qui regardent ses œuvres, surtout les ultimes. Pâque, autrement dit, résurrection, « la promesse d’un ailleurs autre que nihiliste », en effet, d’un « oui » que personnellement on entend autrement que de façon, en vérité pour nous étrange et dans ce cadre inconcevable, que Nietzsche (même si Rothko lui-même se réfère à La Naissance de la tragédie, au « dionysiaque », qu’on croit profondément incompris dans sa relance propre par le peintre, inadéquat par sa nature comme par ses implications, à la problématique engagée ici, car c’est en un mot, et on en fera le reproche amical à la philosophe, en écraser l’originalité et surtout la force, alors même que tout l’ouvrage aura su éviter les pièges tendus en particulier par le vocable de « sublime » ou l’exaltation incontrôlée du « fond sans fond » qui ne servent qu’au blocage de la pensée, ainsi que l’a relevé Hegel à propos du sublime justement). Peu importe, l’essentiel une fois de plus n’est guère touché (il arrive à tout artiste, tout poète, tout philosophe de s’approprier ce qu’il croit bon, au risque d’infléchir les textes originaux, et, à vrai dire, la pensée a lieu, en partie, grâce à ces infidélités, qui sont liberté, dégagement et désencombrement de la pensée, celle-ci n’ayant lieu, véritablement, que dans la métabolisation, et après elle, dans la percolation d’une écriture ou d’un style).

Important, en revanche, est de savoir ce que regarder les peintures de Rothko veut dire. Isabelle Raviolo évoque à ce sujet le « jaillissement de la vie en nous », ce qui s’écarte une fois de plus du nihilisme (qui menaçait dans l’effacement des images, dans la confusion avec l’iconoclasme pur et simple). De façon bien plus décisive est la mise en évidence, ce serait son comble, d’une « lumière infigurable ».

Et, très étonnamment, quoique tout aussi étrangement, peu exploitée, c’est une « voix » qui traverse cette lumière, qui, disons-le pour part ainsi, éclate en elle en prenant l’allure de  « l’appel à écouter cette voix inouïe du vide ». À cette fin est nécessaire « l’exigence d’intériorisation » qu’évoque Maître Eckhardt, au-delà même, précisera-t-on pour sa part, des mots eux-mêmes qui ne sont eux aussi que des images ! L’essentiel est le fond, « le silence » du tableau. Isabelle Raviolo ajoute que « l’exigence est de “percer” (durchbrechen) en soi comme en Dieu », vers cette « présence d’absence », en direction de cette « image zéro », en un mot ce qui se tient au-delà de la représentation et qui est « l’empreinte incréée ».

Une remarque à cet égard, de néophyte et d’irresponsable en études eckhartiennes : le terme d’ « empreinte » fait songer à la photographie, à la lumière certes, sur la rétine ou l’écran de l’esprit, qui aura de sa fulgurance traversé le corps même du cerveau. Voilà qui est à la fois anti-cartésien, par mise en valeur d’une objectivité inconstructible par la représentation, et très cartésien, encore, car Descartes, pour l’essentiel, dénombre dans l’esprit son contenu fait de restes, de semences, de traces, de marques… de Dieu précisément et qu’il s’agit de réactiver, ainsi dans l’usage de la liberté, et de tout ce dont nous ne sommes pas les auteurs. Le réel est (que c’est) Dieu qui s’est imprimé au plus profond de nous, ainsi parlait déjà Augustin. Ce fond est un abîme, terme dont on se méfie légitimement jusqu’au moment où l’on a correctement compris qu’il désigne ce qui en nous n’est pas de notre initiative ou ressort. Nous sommes donc sans fond propre. Et si malgré tout il en existe un en nous, il est celui de l’infinité divine. Ainsi peut-on comprendre. Et si on ajoute la dimension de l’attention, celle dont le cartésien Malebranche affirmait qu’elle était « la prière naturelle de l’âme », alors on s’achemine vers ce que penser veut dire. Déjà scruter, déjà gratter en soi, comme disent les peintres, effacer par conséquent, effacer le construit, le constructible, autrement dit les aptitudes à la représentation comme la représentation elle-même et ses vanités, pour évoquer une nouvelle fois Pascal. Le nettoyage des yeux comme des oreilles, pour gagner en silence, cette condition de la pensée, de l’écoute et du voir aussi, s’éloigner au plus des brouillages et des bruits…

Dès lors, penser, parler, écrire, peindre, mais penser au sens le plus générique qui recouvre toutes ces activités trouverait sa définition dans l’acte de « percer », ce mot central du livre d’Isabelle Raviolo (on avait une connaissance de ce terme dans un tout autre contexte, celui du livre d’Adorno sur Mahler. À la réflexion, comme d’emblée en lisant l’ouvrage d’Isabelle Raviolo, la communication entre les deux dimensions de sens de Durchbruch, « percée », est réelle, et c’est pourquoi il faudra, ailleurs, la développer et en dégager les raisons). Et si percée il y a, ce n’est donc pas dans le néant, afin de se nier en y plongeant et s’y abîmant. C’est que la pensée d’une part et l’œuvre d’art d’autre part connaissent des modalités d’incarnation de ce qui n’appartient pourtant pas à la représentation ! Rothko écrivait pour sa part : « Et si vous n’êtes émus que par les rapports de couleurs, eh bien vous passez à côté du sujet » (traduisons : les couleurs sont la représentation de la représentation, car sans elles elle ne peut avoir lieu). Du reste se trouve définitivement rejetée toute attitude et toute compréhension d’une œuvre en termes exclusivement « esthétiques », car leur présupposition majeure est celle de la distance du regard, de l’abîme cette fois-ci entre ce dernier et l’œuvre elle-même, la promotion de la surface qui empêche non seulement, évidemment, l’intelligence de le profondeur mais aussi, par conséquent, la négation a priori de toute « percée » possible.

C’est pourquoi, la question de la pensée, de la « percée » devient celle du langage. Encore Rothko : « Je suis devenu peintre parce que je voulais élever la peinture au niveau d’émotion de la musique et de la poésie », c’est-à-dire, déjà et ça n’est pas rien, au niveau de formes expressives qui déjouent la représentation (la musique ici ? Les accords, l’horizontalité, l’harmonie et non le récit, la suite des images, c’est-à-dire l’enfilade des phénomènes dans la représentation, soit les cadres de l’espace et du temps). Enfin, l’ensemble de ces questions se résout dans celle du regard, car c’est lui qui opère la percée, par un pivotement sur lui-même et à l’intérieur de lui-même, qui n’est pas sans faire songer, mutatis mutatis, à un accès, celui-là impossible, à l’autre versant, animal par exemple, qui voit ce que nous ne voyons pas. En tout cas, il s’agit d’un décollement de la subjectivité à l’égard d’elle-même, comme celle qui aurait lieu à l’occasion d’une substitution de la rétine ou peut-être d’abord et plus simplement de son nettoyage, de telle sorte qu’il soit permis d’entrevoir la lumière jusque-là entravée, on pourrait dire bloquée par les images et les couleurs qui leur étaient jusque-là attachées. Jamais le mot de « conversion » n’aurait connu autant de déploiement de sa signification la plus originelle. Conversion du regard, nécessairement, conversion de tout l’être certainement. Isabelle Raviollo insiste quant à elle sur le terme de « déhiscence », « grâce à une autre lumière » ou ouvrant sur elle la « lumière de l’intervalle asymétrique ». Et dans la droite ligne de cette déhiscence, il faudrait, relever la tension entre l’apparition et la disparition, la percée se comprenant essentiellement par comme dans le moment négatif, celui de l’évanouissement. Mais de telle sorte que, pourrait-on encore prolonger, que la disparition soit l’occasion, dans le mouvement du pivotement, d’apparaître autrement. Ainsi se dessinerait théoriquement, parce que le processus serait d’abord réel, une dialectique très singulière dont la résurrection, en tous les sens, serait un effet incomparable dans le retournement du mourant.

Que voit au demeurant le mourant au moment même de son entrée dans le couloir de la disparition ? Ce qui en tout état de cause est certain, c’est la dissociation de la phénoménalité, cet univers des images, constitué par « l’art caché dans les profondeurs de l’âme humaine », écrit très mystérieusement Kant dans un geste d’abandon de sa plume et de sa pensée (qui renonce alors, de fait, à comprendre la formation des images, elle en reste à la constatation de la réalité toute imaginaire concomitante à celle de la conscience qui la perçoit, les deux, phénoménalité et conscience étant inséparables). Et justement, c’est le décrochage, cette déhiscence entre phénoménalité et regard que Mark Rothko parvient à réaliser, donc à paradoxalement incarner.

Dans la surabondance de la lumière à travers les couleurs, jusqu’à l’épuisement et l’incendie des images, ce qui définit la réalité et l’acte de la divinité, Gottheit, qu’une fois de plus on ne confondra pas de façon nihiliste avec le néant, car même s’il est question ici d’un ne-ens, d’un non-étant, il est nécessaire d’ajouter que parler de néant c’est en désigner le réel ! Le néant est à cet égard quelque chose. Mais rien, justement en ce sens-là. D’où l’effet de didascalie sur les grands tableaux de Rothko, et il est personnellement impossible de penser la peinture autrement : ils ne possèdent pas de titre, ils sont untitled ! Isabelle Raviolo évoque « la matière noire » ainsi que la « végétation obscure » dont parlait déjà Bachelard, lui-même, c’est une hypothèse que l’on fera, tirant ces expressions de la lecture impressionnée et impressionnante (oubliée aujourd’hui !) de Lautréamont.

Le geste des hommes, recouvrant celui de Dieu, est celui de retirer les images – une fois encore non par haine des images, mais par nécessité, a minima, d’en interroger la réalité substantielle, le lien reliant leur réalité imaginaire (puisque la conscience est temporelle, dirait Kant, elle lie les images en une continuité par une construction, le schématisme transcendantal) au réel –, de les délier, de les détacher, entbinden, qui est une Entbindung, un « dés-imager », une « désimagination », une transcendance active de l’image, son dépassement, une Überbildung, un « sur- ou trans-imager ».

Et penser, ce serait alors bien cela, transpercer le pourquoi, parce que réel est sans pourquoi ainsi que Maître Eckhardt l’affirme de la rose (la rose pour évoquer la naissance, l’éclosion, l’apparaître sans raison, la rose qui est l’Image sans image), ouvrant ainsi à « la nuit de l’image » qui correspond par pivotement ou déhiscence à la splendeur de l’Image, l’ekphanestaton (l’extrême de l’apparition !) Aucun regard de la représentation ou de la conscience, ce qui est bien la même chose, ne peut accéder à cette lumière et s’y lover, seul s’y expose celui émanant de l’empreinte incréée laissée par Dieu, qui habite le fond de l’âme, là où Kant avait quant à lui situé « l’art caché », ce nom, ce substitut, ce recouvrement de Dieu lui-même, sans doute, et on fait l’hypothèse que Kant n’était pas sans le savoir… Un tel regard surgit de rien, seulement, mais absolument de l’Ouvert portant sur l’Ouvert. En somme, le regard libre, ins Freie.

(Une précision, en forme de prolongement possible : que regarde la musique, autre que ce que recherche le néophyte qui aime qu’on lui explique la musique comme mise en images ..? Mais la musique regarde bien quelque chose, qu’on peut penser comme l’Image, à laquelle, par chance, elle accède grâce à la « percée », d’où le lien que l’on peut (doit, pensons-nous) faire avec l’usage du terme par Adorno. Partant, la musique émane dans sa création comme dans son expression de « l’empreinte incréée »).

(Peut-on encore prolonger davantage ? Est-ce d’une part possible ? Et, d’autre part, n’est-ce pas déplacer la question, et revenir sur ce regard dès lors qu’on est mis en demeure de se demander à présent quel statut on accordera au « monde », puisque le regard est celui de l’incréé (alors on ne sera pas loin de Spinoza, qui refuse les mots de conscience, de représentation, de Création et de monde…), et celui que l’on concevra de l’acte d’exister, c’est-à-dire ce qu’il en est de la finitude, même si l’on sait qu’elle recouvre sa propre infinité ?

Il n’en demeure pas moins que le constat s’impose une nouvelle fois : ce n’est pas l’artiste qui peint, mais l’existence en lui. En d’autres termes un fond insondable, immaîtrisable et inappropriable, accessible cependant dans son expression créatrice, l’existence étant elle-même une Création, l’opposé de toute représentation préalable et de toute construction – il s’agit en l’occurrence du critère premier et dernier qui s’opposent à toutes les manipulations auxquelles elle se trouve aujourd’hui confrontée). Et puis, dans ce fil de déploiement de l’existence, de la pensée et des créations dont elle est le support, ce que nous apprend, si l’on peut dire les choses ainsi, la peinture de Rothko, ce qu’elle nous rappelle en tout cas, revient à se demander ce que voit la peinture et aucunement ce que voit celui qui peint, puisqu’il est lui-même vu, en réalité ce que voit la peinture en lui depuis le fond infini de la finitude,  et qui se trouve à la vérité imprimé, c’est-à-dire exprimé par « l’empreinte incréée » en lui, le « fond sans fond » de l’existence, autant de formules de la langue qui sont ici sorties de leur usage philosophiquement convenu et facile, dont parle si bien, avec fécondité, Isabelle Raviolo.

© André Hirt

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