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Franz Schubert, Licht une Schatten, Samuel Hasselhorn et Ammiel Bushakevtich, Harmonia mundi musique, 2025.

par | 6/02/2025 | Classique, Discothèque, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Dans son malheur, Schubert a de la chance. Il aura trouvé dans la postérité, bien trop tardive il est vrai s’agissant de la reconnaissance de bon nombre de ses œuvres, on pense aux sonates pour piano qu’on ne joue que depuis Schnabel, des amis, des compagnons d’empathie. Et voici en effet la musique de l’empathie, le musicien de l’empathie. On partage beaucoup de choses avec de nombreux musiciens, on compatit avec la folie de Schumann, le désespoir de Mozart au creux de ses joies, avec celui de Ravel, si retenu, mais Schubert est le musicien, et davantage donc qu’un musicien, avec lequel on existe et on marche, on ne sait d’ailleurs pas vers où.

Parmi ces amis, il y a les musiciens eux-mêmes. Et en écoutant le beau programme de lieder construit par Samuel Hasselhorn (bariton) et Ammiel Bushakevtich (piano), on comprend la chance qu’on a dite, mais on dira exactement : la justice rendue, ou encore mieux, plus largement : l’amitié. Depuis des années, dans l’écoute des lieder, on se demandait si Matthias Goerne pouvait avoir une quelconque concurrence. Sûrement pas Jonas Kaufmann dont la carrière s’est très tôt endommagée et fourvoyée en prenant une direction qui n’est plus celle de l’art et de son rapport à l’existence, mais du divertissement et de la fantasmagorie. Il y a à présent Julien Prégardien avec Kristian Bezuidenhout qui apportent beaucoup, autrement dit qui élargissent l’image que l’on a du monde de Schubert, c’est-à-dire le nôtre lorsque nous nous sentons abandonnés avec lui, c’est-à-dire souvent, et qui, comme une lentille grossissante, nous le montre avec plus de précision et de cruauté.

Et cette capacité à montrer, à creuser, à toucher la douleur et, aussi, plus rarement une joie, même éphémère, c’est ce à quoi parviennent Samuel Hasselhorn et Ammiel Bushakevtich dans cet écart de lumière et d’ombre (Licht und Schatten). Ce dernier, Ammiel Bushakevtich, il convient de le noter, parvient comme très peu à porter cette musique, qui n’est pas, et cela s’entend ici avec une évidence peu commune, d’accompagnement, de support peut-être si l’on comprend bien que quelqu’un vous aide alors que vous avez du mal à marcher, que quelqu’un quelque part vous aime et au moins trouve en vous par le biais de son désir la perspective d’une existence commune, si l’on comprend encore que ce piano donne le ton, très singulier en chacun et pourtant capable d’être partagé (c’est le trait fondamental, plus profond que chez d’autres, même Chopin, de la musique de Schubert en particulier). Et c’est grâce à cette capacité de projection que la voix de Samuel Hasselhorn peut faire entendre le climat et l’atmosphère dont la musique de Schubert nous fait part et dans laquelle nous pouvons nous reconnaître. Cette voix est bien plus emportée, moins retenue que celle de Matthias Goerne, moins sophistiquée au sens noble du terme que celle de Julian Prégardien, mais elle explore cette dimension blessée, ici à vif de l’existence de Schubert telle qu’elle s’est versée et abandonnée alors à la seule amie qu’est la musique. Cette voix chante en mettant le doigt sur la souffrance (dans Fülle der Liebe, par exemple). On peut découvrir et entendre un Schubert très immédiat. Peut-être ce disque, par son art singulier, parviendra-t-il ainsi à élargir, s’il se peut, les amis reconnaissants de Schubert.

© André Hirt

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