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Éric Montalbetti, Orchestral pictures, Emmanuel Pahud, Orchestre de la Suisse romande, Jonathan Nott, Gürzenich-Orchester Köln, Duncan Ward, Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, Kazuki Yamada, Alpha-Outhere, 2025.

par | 21/02/2025 | Contemporaine, Discothèque, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

On est amené, en effet, dans la peinture, et plus précisément celle de Paul Klee à propos duquel, il y a déjà longtemps, Pierre Boulez avait écrit un si notable livre de vibrations, d’exaltation parfois, ce qui pouvait, selon certains, surprendre s’agissant de lui, à savoir de ce qui amène la musique dans l’image et fait naître la musique dans et de la peinture, on est donc amené à entendre la musique sourdre de ce que l’on voit. À l’écoute de ce disque important, singulier, déjà indispensable parce qu’il marque une station dans l’histoire de la musique présente, on se prend soudainement à ignorer si on se trouve au concert ou bien si on déambule dans les salles d’une belle et mémorable exposition.

Il y a bien longtemps que l’on n’avait pas éprouvé cet ordre de sensations, depuis l’origine de l’écoute personnelle de ce genre de musique, à savoir les Images de Debussy. Mais « sensation » est bien le mot, autrement dit, parce que, depuis Descartes, n’ayons pour un petit moment pas peur de ce nom, ce qu’on ignore, on l’a oublié, tout en accumulant les contresens au sujet de l’auteur du Discours de la méthode, qu’elle est synonyme de pensée. Non pas, donc, ce que l’on sent, tel ou tel objet, ce qu’on prend spontanément pour la réalité, mais le sentir lui-même qui est tout ce qu’il y a de plus réel. Sensation en traduction, en passage à la langue, ou à l’expression, veut dire pensée. Penser, c’est, écrit en substance le philosophe, se sentir imaginer, calculer, sentir, et intelliger…Mais toujours sentir et se sentir. (« Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser » (Principes I, 9). Cogito n’existe que parce qu’il se sent exister et non parce qu’il le penserait abstraitement.  

Il n’existe donc pas de véritable contradiction entre sentir et penser, entre la musique et les effets qu’elle procure et ces images que l’on dit abstraites ou bien trop intellectuelles. C’est précisément ce que bon nombre de grands musiciens ont parfaitement compris en jouant sur les spectres de l’intensité des sensations en suivant, intellectuellement, donc tout ensemble, les modulations des formes. Ils ont retenu la leçon de Mallarmé, admirateur de Descartes au point de désirer lui consacrer une thèse universitaire (!), connaisseur en matière de  peinture, grand sensible et immense esprit, magnifique poète fasciné par la musique et les couleurs qu’il voyait dans Wagner, Dieu merci en ignorant les casques ailés ou à pointe.

En définitive, ce que l’on entend à l’écoute de cette très belle musique, dans ses projections comme au fil de sa mémoire (L’Après-midi d’un faune dans la première pièce par exemple, le concerto pour flûte et orchestre), c’est le souffle de l’esprit et donc l’esprit tout court. Mais, on l’a compris, il n’existe d’esprit que sensible. La flûte, par exemple, ou plutôt exemplairement, est esprit. Elle marche sur les eaux ou bien comme le danseur vole.

© André Hirt

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