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Chopin, l’inlassable exercice d’un devenir (Daniil Trifonov)

par | 29/06/2024 | Classique, Discothèque, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

La musique de Chopin est en devenir vers une forme humaine, elle est encore dans l’essai, le tâtonnement, vers cette forme, toute forme. Elle met en scène l’inflexion que l’être opère sur elle, à savoir une accentuation humaine. Elle oppose également sa résistance à cette mise en forme, la musique de Chopin se complait dans l’indécision heureuse, qui est recherche constructive et non torture, elle constitue proprement son être permanent. Elle est acheminement, jamais achèvement. L’écoute n’est, étrangement, jamais frustrée par cette instabilité, elle en jouit même. Comme si l’être jouait, à son tour, à devenir homme.

Non cette musique trop expressive, qui colle au sentiment humain, plutôt, cette musique encore abstraite qui exige d’y creuser l’humain, qui ne va pas de soi, mais constitue une conquête autre qu’une lutte, quelque chose qui se fait entièrement pour, voire contre lui, sans la ruse qui se dissimule derrière une expressivité exhibée, presque obscène. La musique de Chopin constitue, en cela, une exigeante discipline de penser.

L’ être prend, en effet, conscience qu’il lui est nécessaire de penser en permanence. Ainsi, la jouissance de savoir que l’on pense, que l’on est en train de penser, à travers le motif de la reprise, du recommencement vécu comme un renouvellement à partir d’une forme désertée, non une totale création à partir d’une aire nue. L’inlassable essai de la musique par elle-même, sa reprise comme un regain d’énergie à chercher une autre forme d’énergie, peut-être différente de la précédente sur une subtile, presque imperceptible, nuance, mais qui relance le mouvement avec un féroce effort de continuation.

Le passage d’un mouvement à un autre, et au sein d’un même mouvement, est empli d’une continuité de syncopes. Telle une sorte de logique qui expose, en opérant une focale détaillée, de chacune de ses articulations, donnant, ainsi, l’impression d’une dimension démesurée de l’ensemble. De cette manière, l’écoute est immergée dans cet entraînement musical cohérent qui l’emporte dans la jouissance d’une pure démonstration qui fait l’épreuve de sa solidité.

Et, comment ne pas aborder ces silences qui peuplent la musique de Chopin comme des ombres apaisantes dans le passage de nuages devant un soleil féroce. Ces silences aimantent les composantes du mouvement musical entre elles. Ils ne sont pas inertie mais continuum souterrain de la pensée qui « se vigile » sans cesse dans sa poursuite. Ils permettent à celle-ci de ne pas s’épuiser en folie, en fureur de création. Ainsi, cette impression liminaire d’une musique incohérente, empêtrée dans sa fureur, est reconsidérée au profit d’une pensée qui se jauge à chaque risque d’avancée et qui s’efforce d’en mesurer la portée sans condamner ses essais.

© Sarah Intili.

Album de la Deutsche Grammophon, Trifonov, The Carnegie Récital, 2013. (Idagio).

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