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Carolyn Carlson, un saut dans le bleu, Actes Sud, 2025.

par | 29/10/2025 | Littérature

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

[Collection « le souffle de l’esprit ».

Ouvrage bilingue, français-anglais, traduction en français par Jean-Pierre Siméon, avec des calligraphies de Carolyn Carlson.]

         Le bleu de Prusse est la couleur du peintre dansant. La danse, un mot contourné ici, imprononcé, son absence s’expliquant parce que tous les mouvements de l’existence y ramènent ainsi qu’on va voir, les mots s’accumulant pour, dans leur mélange, rendre cette couleur. Le ciel et l’eau, la tête droite, tendue vers le haut ou bien à l’envers, la sensation propre à l’alpiniste, ce danseur des parois, qui ne sait plus où est le haut et le bas, et qui en conclut que peu importe, car cette incertitude n’est que celle de la réalité, qui ne comporte ni haut ni bas.

        

La danse, donc, puisqu’il y a le mot « saut ». Le saut dans le vide, « dans le bleu du ciel ». Carolyn Carlson livre ce recueil de poèmes, à peine un recueil, plutôt donc une chorégraphie en un seul mouvement, faite de tous les mouvements qui se sont déployés, qui peuvent ou qui pourraient en faire de même.

« Le saut » ! celui qui a lieu comme l’existence même, qui n’est donc que cela, qui fait l’expérience de l’espace, moins un vide en réalité qu’un milieu dans et sur lequel les existences tracent leurs figures, à la fois d’exploration et d’exaltation, et de déchirures (l’espace se brisant, l’existence se fracassant, toujours les mêmes étirements de la distance, autrement dit de l’extension qui est la vérité de l’espace, le point que chacun est et qui se nie en se distanciant justement).

Et puis l’espace et la solitude. L’un n’est pas sans l’autre. Ne serait-ce qu’en raison des distances, du désir (lui aussi est impensable sans l’espace, il ne peut s’exprimer que dans la tension et le mouvement vers l’autre).

Mais comme tout cela est obscur, le bleu dans le bleu, après avoir sauté ! « Grâce rendue à l’obscur ». L’obscur, également, fait l’espace, ou l’espace est obscur. Mais l’espace obscur est le point d’extension de la lumière, dans et par le saut.

Toutes ces raisons de sauter, de danser, s’écrivent (encore un mot pour l’espace !) en vers, qui ne sont d’abord et sur le fond bleu que des mouvements.

La danse, l’existence, la musique, dans le désordre. (On comprend Nietzsche).

Et le saut est rythme. Et qu’est-ce que le rythme, si ce n’est la forme se formant ? Se dessinant, se peignant, s’écrivant, se composant. « L’art de bondir hors de soi-même » qui fait de l’existence la danse de l’être.

Attirances et découvertes, effleurer, toucher, se séparer, « Où aller » ? dans cette « forêt » qu’est l’espace (du) bleu ? Où se trouve le centre de gravité parce que nous sommes un « puzzle » ?

De même, l’attention est un mot du saut (sauter n’a lieu que depuis l’attention), et sauter a lieu dans l’Ouvert, cet autre mot pour le silence, le silence n’étant, ce que Pascal savait, que le mot décentré pour dire l’espace.

Et, magnifiques, ces vers :

Naissance de l’Âme

Nous sommes le Commencement de l’Infini

Au seuil de l’Univers

Où, comment ?

« Dehors le monde est vaste », ce qui a pour cause que nous sommes « sans boussole » et que sauter consiste à faire l’expérience d’ « une image de moi grimpant au ciel ».

C’est certain, la lecture de ce très beau volume de poèmes est bouleversante (encore et toujours un autre mot qui replie et remue l’espace, si bien que nous savons à présent que nous sommes davantage des êtres de l’espace que des êtres temporels). Et l’espace est vie, ajoutera-t-on, comme la danse et la musique, alors que le temps a pour raison la mort.

Certes nous sommes nous-mêmes un astre errant au milieu de l’espace qui ne possède aucun centre, aucune forme, mais le saut qui englobe la danse enveloppe par ses créations toutes les formes. Voyez ce saut calligraphié sur la page de titre et ce rond terminal à la fin de l’ouvrage, le mouvement revenant à lui-même et se conférant la forme.

Une planète nous sommes, in girum imus nocte « dans le bleu ».

© André Hirt

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