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(Bibliothèque) Berlioz et Paris, sous la direction de Cécile Reynaud, Actes Sud/ Palazetto Bru Zane, 2023.

par | 27/11/2023 | Bibliothèque, Classique, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Voici une somme, résultant d’un colloque qui s’est tenu en 2019 à Paris pour les 150 ans de la mort d’Hector Berlioz. Nul doute que les amoureux de l’œuvre du compositeur trouveront ici une mine de renseignements qui enrichiront leur connaissance de l’homme et aussi, bien que cela apparaisse paradoxal au regard du thème du colloque, le musicien.

Car, au-delà de tout cliché en la matière, cette somme excède manifestement son propos. Ainsi, on apprend en effet énormément en termes, entre autres, de géographie, de sociologie, d’urbanisme et de politique s’agissant de Paris. Paris fut bien la ville qui fascina Berlioz, mais elle fut aussi celle qu’il restait toujours à conquérir et qui ne sut pas non pas reconnaître la hauteur véritable de son génie. Selon les propres mots de Berlioz, Paris était une ville « électrique ».

Le terme est en effet central dans cet ouvrage, il est nouveau, « moderne ». Bientôt il donnera le ton d’une poésie nouvelle, celle de Baudelaire (Le Cygne, L’Homme des foules, À une passante, le début des Fusées sont incompréhensibles sans ce mot dont la finale en -ique est si baudelairienne, de même qu’elle sonne comme bon nombre de passages de l’œuvre de Berlioz). « Électrique » signifie avant tout tensions, contradictions, polarités. Et la musique de Berlioz, s’il fallait donc la caractériser d’un mot, ce serait avec ce terme-là. Qui écoute la Fantastique, Roméo et Juliette, Harold en Italie, telle scène des Troyens ou de la Damnation de Faust ne peut qu’être parcouru par ce frisson, en tout point électrique. À la différence de Wagner qui dans sa musique travaille et modifie le système nerveux par les narcotiques, Berlioz sent, puis éprouve dans ses dimensions les plus extrêmes le Moderne comme nul autre, au point, parfois, comme dans le Requiem ou le Te Deum de frôler la grandiloquence (mais celle-ci définit à son tour le Moderne…).  En vérité, Berlioz s’est identifié à Paris et aux conditions nouvelles de l’existence dans cette capitale européenne, qu’il en ait eu conscience sous cet angle ou non.

Ainsi, telle communication du colloque fait part des bruits nouveaux de la ville nouvelle, de ses intensités et ses couleurs inédites dues à l’éclairage au gaz. Ces dimensions se retrouvent, transposées, composées, dans la musique de Berlioz. Ce n’est pas seulement Haussmann qui a percé des perspectives nouvelles dans la ville, c’est aussi Berlioz et son orchestre. Car Berlioz, c’est l’orchestre, autrement dit la musique-ville avec tous ses pupitres. Cette ville-là, cet orchestre-là : des lieux de la révolution, des révolutions. Mais Berlioz n’aura pu « prendre » Troie/Paris…

C’est pourquoi il vaudrait la peine de suggérer un instant à Walter Benjamin d’ajouter un chapitre à son projet de livre sur Paris, capitale du XIX° siècle, Paris, là où « un siècle rêve le suivant ».

Mais Paris n’aime pas Berlioz, toujours pas d’ailleurs. Il aura fallu passer par les Anglais, avec Colin Davies, pour que justice sans (un peu, en vain s’agissant de la France) rendue. Justice à l’égard de son originalité, de sa science orchestrale (oui !, malgré les critiques très suffisantes comme celle de Ravel qui évoquent son « amateurisme » ! (sic !)), de son anti-académisme dont au passage on lui sait gré. Justice à l’égard de cette pâte et de cette couleur, comme celle de Roméo et Juliettedont on ne se lasse pas. Et quelle virtuosité, au sens positif du terme, dans la Reine Mab de Roméo et Juliette (à écouter par Seiji Ozawa).

Le volume est près de se terminer avec des communications concernant l’héritage de Berlioz, le rejet qu’on dira jaloux de Fauré, le mépris, habituel et quasi généralisé, de Debussy, la suffisance de Boulez, la reconnaissance, ouf !, de Saint-Saëns, de Chabrier, ce qui ne console pas. Signe que même chez les plus grands, il est difficile de reconnaître leur dette, comme si la musique avait commencé avec eux.

Qui est Berlioz : un maître, des plus importants avec Liszt, autre orchestrateur méconnu et bien sûr Wagner. Les Brahms, Bruckner et Mahler ne pouvaient quant à eux ignorer ce qu’ils lui doivent.

On est reconnaissant à cette belle collection Actes Sud/ Palazetto Bru Zane parce qu’elle permet d’avoir accès à des connaissances et des documents qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

© André Hirt

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