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(Bibliothèque) Anne Boissière, L’Art et le vivant du jeu, Presses Universitaires de Liège, 2023.

par | 9/12/2023 | Arts, Bibliothèque, Philosophie

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Pourquoi aime-t-on à ce point ce livre ? Et pourquoi lève-t-on les yeux ébloui comme si l’on retrouvait sa part d’enfance, réelle, rêvée ou désirée ?

Il n’y a de sens qu’à parler des livres qui nous sont proches, qui le sont, à tel point qu’ils font après leur lecture partie de nous, puisqu’ils se sont lovés dans l’expression de notre vie et du sentiment que nous avons d’elle.

Le jeu n’est pas sérieux, dit-on ? Peut-être s’agirait pourtant en l’occurrence d’un des plus importants préjugés que l’on puisse avoir. En effet, cette dimension négative, outre qu’elle se mesure à l’aune de considérations et d’exigences productivistes, seul le travail étant selon ces dernières franchement estimable et susceptible d’être rangé au plus haut de la table des valeurs, peut à la rigueur, et encore, s’entendre du jeu pratiqué en société, avec ses règles établies et objectives, calquées sur les autres activités humaines. Mais dès lors qu’on entend par jeu ce qu’Anne Boissière appelle sa dimension « vivante », on ajoutera expressive et aussi immédiate, en un mot, très beau, spontanée, comme celle que confère la grâce du mouvement et la démarche de quelqu’un, alors on commencera à comprendre que rien n’est plus sérieux que la façon dont une existence, littéralement, se joue, dans sa gestuelle propre, et joue d’elle-même comme de son propre instrument. (En ce sens, jouer ne consiste évidemment pas à jouer de, à se jouer de ou encore à se jouer de ou avec quelqu’un. Jouer, ainsi qu’il faut l’entendre de façon très radicale, phénoménologique, ne s’inscrit pas même dans quelque dimension amorale, mais se déroule au plus loin d’elle, peut-être dans ce que Schiller, le maître du jeu, nomme le naïf ou encore, en effet, la grâce vivante).

Et plus littéralement encore, il y a du génie dans cette expressivité corporelle, cette manière d’agencer son corps dans le mouvement et d’en jouer plastiquement et musicalement. Du génie, et puis, n’en doutons pas tellement cela crève les yeux dès lors qu’on est capable de regarder ce ballet constant qu’est une personne au lieu de chercher à en saisir le statut et la conformité aux règles sociales et identitaires en vigueur, une extrême liberté.

Le geste est une vraie pensée. Et le geste est une pensée libre se déployant dans un corps. Un tel geste n’est possible qu’à la condition de ne pas se distinguer, et c’est réciproque, d’une telle pensée.  Par conséquent, le geste comme jeu, le jeu comme art et, ajoutera-t-on après avoir lu le livre d’Anne Boissière, l’art comme existence. On pourra alors être et persuadé et convaincu que l’existence, si l’on peut dire en vérité, est jeu, et art, au sens où il n’y a d’existence qu’à se donner dans son expression à la fois interne et externe, une forme, et à se montrer capable, en tous sens, de le faire. Et ce n’est donc qu’en jouant son existence ainsi qu’on est sérieux. Aussitôt le terme  de « sérieux » perd toute consistance, ne serait-ce que parce qu’il recouvrait ce que l’existence comportait d’aliénation, et donc d’inexpressivité.

© André Hirt

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