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André Markowicz, Dictionnaire amoureux de Pouchkine, Plon, 2025.

par | 6/02/2025 | Bibliothèque, Littérature, Notes de lecture

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Il s’agit certainement du livre de l’année, non au sens commercial, mais celui de l’accompagnement.

Que dire de ce livre qu’on vient de parcourir, dans lequel on désormais plongé, englouti à vrai dire, et émerveillé, ne sachant à peu près rien de Pouchkine en dehors de la lecture des nouvelles, de la musique qui nous y a fait un peu entrer, Eugène Onéguine et La Dame de Pique ? Que dire, donc ? Tout ? un monde, une vie, mais c’est impossible. Rien ? c’est trop peu. Un peu ? mais on ne sait même pas le dire. Ceci, peut-être, écrit il y a déjà longtemps, où André Markowicz était présent à mon esprit et dont j’ajoute aujourd’hui le nom entre crochets :

 

Ce que j’ai découvert, jeune adolescent, en lisant de la poésie (mais comment donc m’est-ce venu ?), c’est une expérience de l’incompréhension compréhensive. En effet, aussi bien l’exercice si beau, malheureusement si délaissé aujourd’hui, de la récitation, que la lecture silencieuse de poésie me faisaient apparaître un texte, dont je savais évidemment qu’il était écrit en français, mais dont le sens me restait obscur. Pourtant, je comprenais dans la langue quelque chose d’autre que la langue. Je comprenais, comme si le texte m’enveloppait (comme si la substance du texte enveloppait sa compréhension), ce qui, du point de vue strict de la signification, restait néanmoins à distance et se refusait à moi. Et la poésie depuis lors, même dans certains efforts ponctuels, purement intellectuels, d’en déchiffrer la signification, est toujours restée à mes yeux cette découverte réitérée à la fois du sens des mots, mots que la poésie distancie pour qu’on les examine de près, et de ce que ces mots, ainsi reformulés dans la langue poétique, ouvraient en moi leur contenu sans même que j’aie à les formuler. Parfois, il m’arrive même de penser qu’un poème lu à haute voix dans une langue de moi inconnue – je me souviens ainsi, par exemple, d’une lecture de Pouchkine [par André Markowicz], en russe, entendue par hasard – m’apparaît immédiatement compréhensible, que ce qui devait y être essentiel absolument m’était effectivement parvenu.  Il m’aura fallu prendre conscience de cela pour faire surgir une autre évidence qui semble en constituer le pendant, mais qui me paraît plutôt rendre raison de ce processus, que la musique s’insinue en nous de la même manière. Avec cette précision, toutefois, que la musique elle-même ne devient “compréhensible”, si j’ose dire, qu’à la condition inverse d’être distanciée, d’abord rigoureusement incompréhensible, pour pouvoir se hisser ensuite à un rang qui serait presque celui d’une langue. Car la musique n’a jamais été pour moi, de façon décisive, ce qui m’impressionne de prime abord, ce qui me comble sans plus amples considérations ou réflexions, mais ce qui m’inquiète, ne me laisse aucun repos, en me faisant sentir qu’elle “tire” pour ainsi dire vers une langue qu’il me faut apprendre et saisir dans ses formulations propres. C’est pourquoi j’ai toujours eu tellement de mal à supporter l’imposition de la musique dans les lieux publics, restaurants, magasins, l’usage publicitaire etc., bref toutes ces occurrences dans lesquelles elle se fait non-langue, mais moyen, code, échange social (substitut de la langue et de l’échange social ?). À l’inverse, la musique doit me venir selon l’appel d’un moment, comme si elle était nécessaire pour formuler un état et une pensée, pour les engager en somme, pour leur ouvrir la voie. C’est donc, autant dans la poésie que dans la musique, qu’il me fallait et qu’il me faut toujours et encore apprendre une langue qui, à la vérité, ne s’apprend guère, mais qui m’apparaît comme devant être la mienne, et même la seule dont je puisse disposer.

© André Hirt, Le Lied, la langue et l’histoire, Les Éditions de la Nuit, 2008, p.15-17.

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