Comme son titre ne l’indique pas, le disque que nous offre Nour Ayadi débute par Francis Poulenc et ses Soirées de Nazelles et Trois novelettes. Défiant la chronologie, ces œuvres bien trop peu mises en valeur, singulières même pour Poulenc dont le fond d’inspiration, ou bien la crête, est tout de même religieux, préparent le Carnaval de Robert Schumann. Même si cette dernière œuvre n’est pas dénuée d’ambiguïtés, disons d’humeurs qui vont souvent d’un extrême à l’autre, il reste que c’est en plus de ses aspects d’humour et de malice une danse joyeuse avec ses accents orientaux – ou bien ?, c’est un effet d’écoute en tout cas, dans la première pièce qui est proposée par Nour Ayadi – qui l’a peut-être engagée à jouer cette suite de Poulenc.
La jeune pianiste, manifestement très originale non seulement par sa programmation, mais avant tout par la tonalité fondamentale qu’elle lui donne, à savoir précisément cette joie, et puis l’usage délicat de cette chose, la plus difficile qui soit en particulier en musique, à savoir l’humour, et aussi l’ironie, lui permet ce tourbillon que le Carnaval de Schumann emmène au plus loin, aux extrêmes en effet, d’où un retour circulaire possible de l’écoute sur la belle mélancolie des pièces de Poulenc.
Bien sûr, le Carnaval est un cheval de bataille du répertoire. Mais au lieu de comparer la version qu’en donne Nour Ayadi avec celles de ses prédécesseurs, tous impressionnants, depuis les antithèses que furent V. Horowitz et Y.Nat, mieux vaut, et ce serait une belle règle herméneutique à se donner, écouter ce qu’on entend ici. Donc, non pas s’interroger sur des différences d’interprétation, ou sur des influences, mais suspendre, au lieu de sans cesse juger en recourant d’ailleurs pour seuls arguments à l’accumulation d’épithètes, ce genre de réflexes et prêter vraiment l’oreille. Ce que nous dit Nour Ayadi est alors la seule chose qui importe. Ne plus comparer avec ce qu’on n’entend pas à l’instant, mais écouter. Le bénéfice, on peut l’expérimenter, est immédiat : les œuvres se trouvent rafraîchies, elles ne constituent plus un prétexte pour le jeu et la virtuosité, mais elles se mettent à parler d’elles-mêmes. Et Nour Ayadi leur prête sa belle voix, on peut dire cela, qui caractérise son approche personnelle, enjouée et décidée, de la musique.
Une nouvelle fois, Scala nous fait découvrir de jeunes mais déjà très grands artistes.
© André Hirt
À l’écoute, Nour Ayadi (Youtube) :
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