Viva l’intempérie qu’il nous balance, qui nous emboite le pas, la toile du store cérébral se déchire ! Zorn John ne l’a pas volé son nom, tirant de son saxophone ou de ses games calls (sorte d’appeaux électroniques) des grigri, poudres sonores et sortilèges pour tous ceux qui ne montrent pas pattes blanches dans l’auditoire qui l’entoure. Des manières d’expression pré-existent chaque fois que l’exaspération requiert l’exactitude, on dirait alors qu’une scie le visite et travaille de l’intérieur sa cage thoracique, plus encore aggrave ses graves et aiguise l’aigreur de ses aigus.
Haut de 74 cm pour un boucan d’enfer et de paradis, son saxophone alto il le perche, il le plonge, il le frotte le dérouille l’embouche par le genou gauche, il le défroque, il l’étreint, et s’il évolue parfois quelques secondes en eaux d’apparence claire, c’est pour mieux les troubler l’instant d’après.
Avec ses acolytes-apôtres de scène, il forme des groupes, appelons ça des bandes organisées inclassables, qui traversent les décennies, dont voici quelques noms francisés : « Analgésique », « Cité nue », « Hémophile », « Fils de la lune », « Simulacre », ou encore « Masada » – forteresse qui domine la mer Morte et dernière poche de résistance des patriotes juifs face l’armée romaine. Zorn y est athlète chuintant sur une octave qu’on crut jusqu’alors inatteignable voire tabou, ses notes et sons nous piquent et nous inoculent leur dengue estivale.
Pour un tel énergumène de l’improvisation, magicien oui, le sujet – qui est le souffle – n’a pas d’épuisement, le souffle est illimité, illimitant, il est symboliquement l’immortel en l’être humain. Tremblements sans syllabe d’appui, ellipses et débauches, ahan qui en cache toujours un autre, en porte-à-faux, l’air se trouve rapidement comprimé dans le bocal, le corps conique, puis la culasse de l’instrument, ne semble reprendre connaissance qu’une fois expulsé du pavillon.
Les vagues de chatouillis palatins, les reflux d’air, les micro-rafales au ras des lèvres pour tenir bon, user de la débrouille, de la dextérité à toute épreuve, et qu’il ne s’agisse plus que d’aller de l’avant sans s’arrêter, au son des sons. Rapacité des rebonds, apnée surfeuse, puncheur né lorsqu’il joue ses pièces intellectuelles, et intello décapant dans ce qu’il nomme ses Game pieces comme « Hockey », « Polo », « Rugby » ou encore « Archery », tout ne se contredisant évidemment pas.
Viva l’intempérie qu’il nous expédie de ces assauts fanatiques, de ces fulgurances fantastiques, il nous attire, du bout de son sax alto nous fait fuir, nous fait rêver tordus contre terre, nous fait avaler son cocktail chimique par les oreilles, y ajoutant parfois un peu de faux sucre.
Son saxophone alto, il sait si bien le faire se sentir à l’étroit autant que le souffle qui le parcourt est à l’étroit, donnant dans le chapelet de cris, dans le cri-crécelle, dans le cri pour prolonger, jamais pour abréger, ou délogeant de son trou noir à coups de claquements de rein une lumière d’avant la lumière. Fervent croyant au sublime de l’air qui permet ce souffle bluffant, ou hérétique convaincu installé au 209 Broadway pour une improvisation de plus de trois quarts d’heure à la tribune d’orgue de la Chapelle Saint Paul (NY), tout ne se contredisant pas, évidemment.
© Mathieu Nuss
À l’écoute : John Zorn à Marciac, 2010 (Youtube)
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