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(Note d’écoute) Sur les quatuors à cordes de Benjamin Britten, par Mathieu Nuss. 

par | 18/09/2023 | Classique, Contemporaine, Musique, Notes d'écoute

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Pressentant ce qu’il reste de ciel – parce qu’il en reste – un passereau redemande de la pluie. L’ostinato parcourt les versants agricoles, survole le pré à verdoyer. Aux deux violons et d’une seule voix, la figure musicale, comme une parole simple, enfantine, si simple qu’elle paraît antérieure à la civilisation, contourne la corniche ainsi que quelques rochers en forme de muffins. La musique profilée de mirages hybrides s’évanouit, à être examinée de trop près, elle esquive toute calcification, possédant en elle le bourdonnement des insectes qui nous survivrons, les pizz’ alertes dans les branchages des bosquets, ou encore les lames de vent fort à modéré dans l’archet du violoncelle.

Les relais sont pris, tendresse des anonymats, la mélodie ou son ombre, s’épaissit, des vagues aiguës semblent remonter du plus profond l’histoire du son. Haies, premières floraisons, sex-appeal des étendues d’eau, petites ou plus grandes, qui renseignent sur l’état de rupture du ciel, se ravive en double croches le bronze blanc du ruisseau. Tremblant et tranchant des cordes de connivence, aux points cardinaux, la nature tente de trouver un équilibre entre mutisme et logorrhée.

Après avoir glissé sur les zones érogènes du champ céréalier, un second passereau se pose sur des trappes de silence qui ne le feront pas disparaître, tout au contraire. Pointes d’épis en formation, espace qui tout entier réclame sa part de désir, les chaises de l’air grincent, le sommier de la musique est traversé des pieds à la tête, toute la saison en entend la jouissance. Ardeurs et tourments sont confondus en points de foudre.

Des micro-peuplades de spectres, d’éclats furtifs, de flashs pénètrent notre attention auditive, et dont rien n’est à saisir tant tout peut si vite se dérouler ou se re-enrouler, s’ouvrir, se refermer. Dans les forces vives qui constituent cette musique, mouvements et poses légèrement vêtus, dans sa jeunesse intacte, elle nous nargue à nous regarder vieillir dans le paysage, elle a ce rare pouvoir de ne jamais être la porte-parole de l’ortie, disons de la mauvaise herbe qui dénierait si volontiers la bonne. Elle insiste sur le fait que la beauté est – et seulement – de l’interrompu.

Vibrante de bonté, voici la pluie d’eau tempérée, recyclée oui, la même toujours qu’au temps de Jean-Sébastien Bach, une pluie qui a l’enjambée grande et acquiesçante, capable d’amorcer un continuo pour permettre aux feuillages de s’épanouir de la base jusqu’au sommet. Ainsi la cime d’une chênaie, sûre de ses racines, et ce qu’elle a de voisinage feuillu agréable, désigne droit dans les yeux l’alto, son mezzo plus particulièrement, car elle en meurt d’envie, puis c’est au tour du violoncelle de chatoyer, jour, tout autour du jour, croches pointées chargées de jour – c’est-à-dire de lumière d’abeilles et de fleurs blanches.

Le sentier est plus ou moins balisé depuis que l’Ars subtilior de la Renaissance puis Jean-Sébastien Bach y sont passés, le lit du ruisseau, le gué idem, les aires de repos, les prés à moutons, les terres en jachère sont autant de rôles que peuvent jouer les figures d’une musique. Alors on les randonne, floraisons émancipées alentour, on s’y mouille un peu les pieds, on se risque à les dévaler pour l’amour des remous, et parce que les remous sont de l’amour véritable, on s’y naufragerait en plein été jusqu’au bassin. Qu’on s’y assoupisse, qu’on retire tranquille les graviers ponctuellement logés sous les archets, on a juste pour soi et devant soi tout ce temps à descendre puis à remonter le cours musical.

© Mathieu Nuss

Le Quatuor Ives joue le 3° Quatuor de Benjamin Britten (Youtube) :

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