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(Bibliothèque), À la lecture aujourd’hui : Soma Morgenstern, Alban Berg une seine Idole, Erinnerungen und Briefe, AtV, 1999.

par | 9/01/2024 | Bibliothèque, Contemporaine, Littérature, Musique

L’Art de la fugue contre L’Art de la guerre et la Fugue de la mort.

Soma Morgenstern, grand ami de Walter Benjamin lors des journées d’attente, en 1940, à Marseille dans le but d’émigrer, en plus d’être un romancier important qui nous instruit, autrement que Thomas Mann et Robert Musil, sur l’effondrement de l’Europe, auquel beaucoup ont aidé, comme ils le font aujourd’hui, est un conteur magnifique. Il suffit de lire Fuite et fin de Joseph Roth(Liana Levi, piccolo), l’écrivain politiquement désespéré jusqu’à creuser par l’alcool ce désespoir en lui, et qui confia à sa fidélité pour la monarchie effondrée sa foi en l’Europe, comme en d’autres termes Stefan Zweig, les deux mimant, chacun à sa manière, le suicide dans lequel le continent avait, pour sa part, consenti.

Reste la musique d’Alban Berg, l’ami de Soma Morgenstern qui livre ici ses souvenirs et nous confie sa correspondance avec le compositeur. Ce monde effondré et perdu qui est décrit là, jamais, à la première lecture lors de la parution en 1999, on n’avait ressenti à ce point non qu’on lui appartenait encore en pensée, ce qu’on croit toujours, mais qu’il était à jamais perdu, et qu’on avait manqué la chance d’un monde autre. Les coups de boutoirs du communisme et de ses rejetons, les fascismes et le nazisme, auront eu raison de lui. Ce qu’il en reste malgré tout, dans le souvenir qui est le nôtre lorsque nous lisons Soma Morgenstern, Walter Benjamin et Joseph Roth, et écoutons la musique d’Alban Berg, est à présent constitué de simples traces (comme dirait Ernst Bloch, qui, quant à lui, cherchait en elles des motifs et des raisons d’espérer encore), qui sont pour beaucoup devenues indéchiffrables.

L’œil qui avait jeté son regard dans celui du cyclone et qui hante ces pages de Soma Morgenstern, on peut le croiser en regardant tel portait de Freud en père sévère. En lisant et relisant Malaise dans la civilisation, décidément le grand texte qui éclaire et le XX° siècle et ce que nous vivons aujourd’hui, on comprend que la compulsion mortifère de répétition est plus que jamais au travail. La musique d’Alban Berg avait saisi cela parce qu’un grand artiste est tel parce qu’il est lui-même saisi par son temps, sans se laisser fasciner par lui qui lui renvoie le regard bête et méchant de Harpo Marx.

À l’instant, me revient en mémoire l’année passée, il y a à présent bien longtemps, les jeudis soirs, en plus des heures réglementaires, à expliquer auprès d’hypokhâgneux volontaires, tous délicieux et pour moi précieux, Malaise dans la civilisation. J’ignorais cependant, et cela rend modeste tout en instruisant, à quel point Freud disait vrai. Comme quoi, même le travail, même le scrupule, même une lecture attentive risquent de laisser échapper l’essentiel du sens (que les élèves me pardonnent !). À l’inverse, c’est une justification nécessaire et suffisante, s’il en fallait, de l’étude de la philosophie, de la littérature et de l’écoute de la grande musique …

© André Hirt

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